jeudi 30 décembre 2010

Le "devoir de mémoire" ou les dérives du souvenir


Depuis quelques années, un nouveau concept est repris par les médias et les hommes politiques de tous bords : « le devoir de mémoire ».
Qui oserait en critiquer l’intérêt s’expose aux critiques. Parlons-en !
Arrêtons-nous sur les termes de ce concept, le devoir et la mémoire.
La mémoire est, par définition, sélective. Cette mémoire est par exemple celle qui est activée par tous les individus qui sont interviewés sur leurs souvenirs du passé. Imaginez un instant vous entretenir avec une personne ayant vécu l’Occupation. Pensez-vous qu’elle mettra en avant, ces comportements condamnables ou illégaux (marché noir, vol, délation par ex) ?
Le propre de l’Homme n’est-il pas de construire son image sur des événements « positifs » pour le reste de la société ?
Il est encore plus aisé de travestir ou d’occulter le passé, surtout lorsque votre interlocuteur n’a pas eu la possibilité de le vivre.
Le propre du travail de l’historien est par conséquent de « déconstruire » les mythes et les discours pour retrouver une image du passé plus conforme à la réalité. Le discours d’une personne interviewé doit donc passer sous le tamis des méthodes scientifiques. Expurger le discours de ces « inventions » ou vues de l’esprit, qui retravaille, modèle ses souvenirs. Le résultat est parfois surprenant.
L’un des exemples les plus étonnants demeure celui de François Mitterand. En effet, après la débâcle de la Campagne de France de 1940, les Français connaissent le traumatisme de la défaite. Il faut expliquer les raisons de la chute de la plus grande armée du monde. Mitterand affirmera plus tard qu’il avait vu, durant l’Exode, des avions italiens mitrailler des colonnes de civils…
Il aura fallu des travaux d’historiens pour démontrer que cette affirmation ne tenait pas, pour plusieurs raisons, notamment celle technique. En effet, les avions de Mussolini n’avaient pas l’autonomie nécessaire pour pouvoir s’attaquer à ces civils français en fuite. Aucune archive n’a jamais pu confirmer ces événements. Mais d’autres personnes soutiennent pourtant la version de l’ancien Président de la République. Le mythe des « avions mitrailleurs » était né.  Il s’agit là d’un bel exemple d’ « hallucination collective », produite par le choc psychologique de la défaite mais aussi par le « coup de poignard dans le dos » de l’Italie, entrée en guerre contre la France en mai 1940.
Devoir de mémoire ? Ces événements, sans l’apport des historiens, se seraient peut être retrouvés dans les manuels de nos lycéens. Pire, ils auraient pu donner lieu à des commémorations officielles !
Le « devoir de mémoire » est une façon aisée de traiter l’Histoire dans les médias.
Le journaliste a d’autres objectifs que la recherche historique lorsqu’il aborde le passé. Ses impératifs d’audience le pousse par exemple à chercher le scoop, le sensationnel.
Et chemin faisant, les médias contribuent à l’utilisation abusive de l’Histoire et du passé pour une réutilisation politique.
L’exemple de Guy Môquet est à ce titre symptomatique.
Dans un contexte de « neutralisation » de ces adversaires des partis de gauche, Nicolas Sarkozy choisit subtilement de mettre en avant un jeune résistant communiste de la Seconde guerre mondiale, exécuté par les nazis. Communiste est un point important puisqu’il permet de démontrer que Nicolas Sarkozy est au dessus des partis.
Imposer la lecture aux lycéens d’une lettre écrite par Guy Môquet juste avant de passer sous la mitraille nazie, a été présentée comme faisant partie du « devoir de mémoire ».
Une insulte au corps professoral et une incursion grave du politique dans l’écriture de l’Histoire.
Une tentative qui n’est pas sans faire penser aux manuels d’Ernest Lavisse qui ont « construit » les élèves de la fin du XIX° siècle. Le « Lavisse » a sans doute été la plus grande arme pour pousser notre pays dans le nationalisme et l’esprit revanchard face à « l’ennemi » d’Outre-Rhin. Et cette « Histoire officielle » s’est également retrouvée quelques années plus tard, dans les manuels scolaires de l’Allemagne des années 1920, 30 et 40. On connait à chaque fois la suite.

A mon sens, le « devoir de mémoire » est le résultat d’une « paresse intellectuelle » criante et d’une simplification du discours qui passe bien souvent derrière le poids de l’image. Clichés très réduits du souvenir des sociétés, le « devoir de mémoire » n’a pas droit de cité dans une société qui prend le temps et se donne les moyens, de regarder son passé en face.
L’occultation de certains épisodes sombres de notre Histoire (guerre d’Algérie, régime de Vichy) ont entrainé ensuite une volonté de se faire pardonner et d’obtenir une absolution collective par n’importe quel moyen. La France a officiellement reconnu la pratique de la torture en Algérie. Mais quid des exactions nombreuses du FLN sur les civils français et algériens ?


Je vous invite à observer la composition des plateaux télé qui traitent des événements historiques. Pensez à compter le nombre d’historiens qui y sont invités….
Un petit effort a cependant été consenti depuis peu avec les apparitions remarquées de Benjamin Stora par exemple. Pour refaire sa toiture, il est judicieux d’appeler… un plombier bien entendu ! N’est-il pas logique de faire intervenir des historiens pour évoquer le passé de nos sociétés ?

Un autre exemple récent m’a largement interpellé. Le 9 novembre 2010, des célébrations officielles ont été organisées pour rendre hommage à De Gaulle, décédé 40 ans plus tôt.
J’ai été surpris voire choqué, de la façon dont l’actuel Président a utilisé, tout au long de son discours, la pensée et les actions de De Gaulle. De nombreuses allusions m’ont irritées fortement, notamment lorsqu’il insinuait son courage tout gaullien dans la poursuite de sa réforme des retraites… Si De Gaulle l’a dit ou l’a (ou l’aurait) fait, dans ce cas, il n’y a pas de place à la contestation !
Voici un petit extrait de ce discours de Colombey-les-Deux-Eglises :

« Il est parfaitement légitime que dans une démocratie chacun défende ses propres intérêts.
Il est légitime que chacun fasse valoir son point de vue, que chacun exprime son opinion.
Il est légitime que ceux qui veulent manifester, que ceux qui veulent protester puissent le faire dans le respect des lois de la République. C'est leur droit.
Mais le devoir du Président de la République, responsable devant la Nation, c'est de décider sur le seul critère de l'intérêt général.
Le Président de la Ve République n'est pas celui de la IIIe ni de la IVe, ce n'est pas seulement un arbitre qui se contente de faire respecter la règle. Il a le devoir d'agir.
Je voudrais citer une fois encore le général de Gaulle : « Si la France m'a appelé à lui servir de guide, ce n'est certes pas pour présider à son sommeil . (…)
Le général de Gaulle n'a jamais reculé devant la nécessité de décider, quelles qu'aient pu en être les conséquences parfois douloureuses, parce qu'il savait qu'en repoussant trop longtemps la décision, les souffrances seraient plus grandes encore.
Il avait conscience que lorsque l'État ne décide pas, ce sont d'autres forces qui décident à sa place et que ce sont alors toujours les plus faibles et les plus vulnérables qui en sont les victimes. »

Plus royaliste que le roi, notre Président se veut plus gaulliste que De Gaulle.
N’a-t-il pourtant pas réintégré la France dans l’OTAN alors que c’était précisément le Général qui s’en était écarté en 1966 ?

Comment peut-on évoquer le devoir de mémoire concernant la guerre d’Algérie alors que les historiens publient, depuis les « événements d’Algérie », des études sérieuses sur cette question ? Récemment, les médias évoquaient encore la torture en Algérie, comme s’il s’agissait d’un scoop.
Les travaux de ces historiens, comme ceux de Pierre Vidal-Naquet, semblent n’avoir jamais existés. Enterrées, tout comme le fait bien trop souvent cette mémoire défaillante de l’homme.
Un seul document, un seul écrit ou la parole du dernier Poilu ne doivent pas être sacralisés comme le serait l’Evangile. L’histoire est méthode, croisement des sources.

Le « devoir de mémoire » n’est pas une science, il est oubli. Gageons qu’un jour l’Historien bénéficie d’un intérêt plus juste, en phase avec son rôle social.
En tant qu’archiviste, je suis garant de la préservation de cette mémoire de notre société, je conserve les traces de ce passé commun. Mais ces archives sont perdues dès lors qu’elles ne sont ni consultées ni communiquées aux citoyens et aux chercheurs.
En tant qu’historien, je tente de construire le récit du passé, à l’image d’un grand puzzle qui a perdu une partie non négligeable de morceaux. Prendre un morceau au hasard et extrapoler le discours, sans rappeler le contexte historique peut conduire à de nombreux travers. L’Histoire et le récit historique ne se construit pas en une journée, sur la base des communiqués de l’AFP ou de REUTERS.

L’Histoire est courtisée, convoitée pour son pouvoir de persuasion. L’argument historique est toujours puissant pour rendre un idée indiscutable. Les exemples ne manquent pas, même dans nos démocraties. A vous de les trouver !

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